CIUSSS de l’Estrie – Centre Hosp. Univ. de Sherbrooke cas #1019
Je suis infirmière depuis 17 ans. Toujours en milieu de soins de critiques, à l’urgence depuis 8 ans dans différents hôpitaux et depuis 3 dans, à l’urgence de mon « petit » hôpital. Jamais je ne me suis sentie aussi démunie que cet été.
Il s’est installé une fatigue physique et psychologique: j’ai peur pour moi, je me sens fragile. J’ai peur de tomber au combat, et que ça prenne des mois pour m’en remettre. Mon conjoint et mes amis ne me reconnaissent pas: moi qui est toujours à 100 000 à l’heure dans tout, toujours partante pour faire plein d’activités et bouger. Pas cet été. Même les loisirs ou propositions d’activités me pesaient: j’étais si fatiguée, encore quelque chose à « devoir faire ».
Une accumulation de surcharge de travail, de manque de personnel chronique, de collègues non remplacées pour les vacances, des PAB en arrêt de travail. Cet été, il y avait un paquet de feuilles d’au moins 6 pages accroché au babillard… C’était les manques à combler. Si personne n’écrit son nom sur la feuille, pas grave, ça sera du TSO. Personnellement, j’ai opté pour la théorie du « moindre mal »: je choisis de rentrer avant mon quart de soir car c’est plus facile à gérer que le stress psychologique de peut-être devoir être imposée. Mais je n’aurais pas nécessairement fait du TS.
Une surcharge de travail dû à la covid, à faire la « civière musicale ». Quand tu penserais avoir quelques minutes pour commencer des notes, le résultat du test sort négatif, on change le patient de section, on recommence avec un qui va plus mal. Le PAB n’est pas disponible pour les mobilisations, les cloches et les soins aux patients car il doit déplacer et nettoyer des civières. Le résultat: ne pas souper, si ce n’est que 10 minutes sur un coin de table, évidemment ne pas prendre de pause, finir 1h plus tard. On prend tellement tout sur nous, c’est vrai qu’on finit par « tout faire », mais on y laisse des bouts de nous-mêmes.
Éteindre des feux, espérer très fort que rien de « grave » n’arrive sur mon quart. Car si cela arrive (ça va arriver, ce n’est qu’une question de temps), de un, je vais m’en vouloir extrêmement en tant que professionnelle, de 2, j’ai peur des sanctions, peur de perdre mon droit d’exercer. J’ai peur qu’on cherche des coupables et qu’au final ce soit de ma faute si je n’ai pas été capable d’évaluer mon patient avant 1h après qu’on me l’ait couché dans ma section. On prend facilement en défaut une infirmière qui n’a pas fait ce qu’elle devait, en temps voulu. On est bien loin de « prendre soin des patients », comme on voudrait le faire. On met tout notre cœur à essayer qu’ils n’en paient pas trop le prix.
Le citron est pressé, y en a pu de jus. Et le pire, c’est que je me sens sur le banc des accusés à devoir prouver au gouvernement mon « innocence », prouver qu’on en fait trop, qu’on n’en peut plus, qu’on a besoin de renfort.