L’injustice est-elle plus acceptable lorsqu’elle frappe les travailleuses et les travailleurs du secteur public?
Monsieur,
À titre de présidentes et de présidents d’organisations syndicales représentant près de 300 000 travailleuses et travailleurs du secteur public, nous avons été profondément choqués à la lecture de votre chronique publiée dans le journal La Presse, le vendredi 28 septembre dernier, intitulée « Pourquoi eux et pas nous? ».
Dans votre chronique, vous justifiez la hausse de salaire accordée aux médecins spécialistes par le fait qu’ils subissaient un écart de rémunération d’environ 40 % en leur défaveur comparativement aux spécialistes du reste du Canada. Selon vous, c’était donc le prix à payer pour éviter un exode et des problèmes de recrutement en période de pénurie. Et vous osez ensuite écrire que bien des groupes voudront se servir de l’entente avec les spécialistes pour défendre leur propre cause. Mais s’ils demandent le même traitement que les médecins, ils risquent gros. Parce que les hausses accordées aux spécialistes reposent sur une comparaison avec les autres provinces. Et à quelle conclusion en arriverait-on si on faisait le même exercice pour le secteur public, si on comparait les salaires, les avantages et la charge de travail avec les autres provinces? Je n’ai pas les chiffres, mais je peux mettre ma main au feu que le rajustement se ferait par le bas.
C’est incroyable! Vous reconnaissez ne pas avoir les chiffres, mais vous n’en publiez pas moins une opinion toute faite, basée sur une perception erronée. Dans les faits, les salaires versés aux travailleuses et aux travailleurs du secteur public au Québec accusent un retard de 20 % comparativement à leurs collègues du reste du pays. À titre d’exemple, c’est au Québec que les salaires versés aux technologues en radiologie sont les plus bas pour l’ensemble des provinces canadiennes. Le salaire horaire au Québec est de 22,96 $ alors qu’ailleurs au Canada, il varie de 23,10 $ à 33,32 $. Et l’écart est encore plus prononcé lorsqu’on regarde ce qui se passe aux États-Unis alors que dans certains États, les technologues en radiologie gagnent presque le double du salaire versé au Québec. Du côté des vérificateurs fiscaux, celles et ceux qui travaillent en Outaouais, notamment à Gatineau, quittent leur poste au ministère du Revenu du Québec pour aller travailler au gouvernement fédéral qui leur offre, dès le départ, une rémunération supérieure de 10 000 $ annuellement.
Alors, M. Dubuc, si le gouvernement du Québec se devait de rendre justice aux médecins spécialistes, ne croyez-vous pas que le même principe devrait également s’appliquer à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du secteur public? Ne croyez-vous pas également que l’ensemble des travailleuses et des travailleurs de l’État devrait pouvoir négocier librement leurs conditions de travail et leurs conditions salariales avec leur employeur, comme le gouvernement a finalement accepté de le faire avec les médecins spécialistes? À moins que vous ne soyez de ces individus qui croient que l’injustice n’est condamnable que lorsqu’elle frappe les mieux nantis d’un système et qu’elle est parfaitement tolérable lorsque ses victimes ne sont que de simples salariés du secteur public?
Par ailleurs, vous écrivez qu’il est normal que les médecins spécialistes soient mieux rémunérés à cause de leur talent et de leurs compétences, alors qu’il faudrait traiter différemment les travailleurs interchangeables ou remplaçables. C’est là que votre mépris élitiste, M. Dubuc, atteint son comble. Comment peut-on prétendre que les travailleuses et les travailleurs du secteur public ne sont pas suffisamment talentueux et compétents pour être traités avec le même degré de justice que les médecins spécialistes? S’il est vrai que les médecins spécialistes ont la vie des patients qu’ils traitent entre leurs mains, qu’en est-il des infirmières et infirmières auxiliaires, des inhalothérapeutes, des inspecteurs des aliments, des technologues et des spécialistes en environnement qui s’assurent de la propreté de nos cours d’eau et ainsi de suite?
Devons-nous également conclure que les joueurs de hockey ont plus de talent et de compétences que les médecins spécialistes et qu’ils sont plus difficilement remplaçables? Ces derniers ont-ils plus de talent et sont-ils moins remplaçables que le premier ministre du Québec dont le salaire est moins élevé? En appliquant de façon un peu trop simpliste les critères du marché à un jugement d’évaluation comme vous le faites sans vraiment en connaître toutes les facettes, par exemple les difficultés de recrutement chez les technologues en radiologie ne se traduisent pas par des augmentations salariales, on risque de tirer des conclusions hâtives et de se baser sur un seul critère qui laisse dans l’ombre une quantité de travailleuses et de travailleurs dont le métier ou la profession n’est pas nécessairement rare, mais qui néanmoins, et ce, quotidiennement, assurent les services publics et demeurent sous-payés pour leur travail.
Les présidentes et présidents du SISP,
Réjean Parent (CSQ)
Lina Bonamie (FIQ)
Michel Sawyer (SFPQ)
Dominique Verreault (APTS)
Gilles Dussault (SPGQ)