Les services d’avortement menacés
Lina Bonamie, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec — FIQ
On se souviendra que la loi 33, adoptée sous le bâillon en décembre 2006 et qui se voulait la réponse du gouvernement à l’Arrêt Chaoulli rendu par la Cour suprême en juin 2005, autorisait l’exercice de trois interventions chirurgicales en clinique médicale spécialisée (CMS), soit l’arthroplastie de la hanche et du genou, de même que l’extraction de la cataracte. En juillet 2008, la portée de cette loi a été élargie par le règlement mentionné ci-dessus à une cinquantaine d’opérations chirurgicales, au nombre desquelles figure notamment l’interruption de grossesse.
Les centres de femmes
Tout d’abord, cette nouvelle réglementation établit que les seuls lieux où les avortements seront dorénavant autorisés sont les établissements publics et les cliniques médicales spécialisées (CMS). Ils ne pourront donc plus être pratiqués, comme c’est le cas actuellement, dans des centres de santé de femmes, à moins que ces derniers ne se convertissent en CMS. Il s’agit bien d’une conversion, car il faut savoir que les CMS, créées par la loi 33, sont des entreprises à but lucratif, sous le contrôle des médecins spécialistes, qui doivent être exploitées majoritairement par des médecins investisseurs.
Depuis une trentaine d’années, des femmes se sont organisées pour offrir des services en matière de santé reproductive qui correspondent à leurs besoins. Ces centres de femmes ont contribué de manière importante au développement d’une approche moins médicalisée de la santé des femmes. Ce sont des organismes sans but lucratif, pratiquant une approche alternative en matière de santé reproductive, gérés par un conseil d’administration composé de salariées et d’usagères, qui pratiquent une gestion participative. Les CMS étant des entreprises à but lucratif, on peut facilement s’imaginer que l’éducation et la prévention en matière contraceptive ne seront pas une priorité. Tel que le fait si justement remarquer le Conseil du statut de la femme dans une étude publiée le 8 octobre dernier, « quel sort sera réservé à l’approche globale en matière de santé des femmes, si la pratique de l’avortement devient le fait du seul CMS? ».
L’universalité des services menacée
Outre ces considérations, il faut noter que les CMS ne seront pas nécessairement accessibles dans toutes les régions du Québec, alors que l’objectif avoué de la réforme Couillard en 2003 était au contraire de rapprocher les services des usagers et usagères! Ainsi, selon l’intérêt manifesté par les médecins spécialistes eux-mêmes et selon la rentabilité escomptée, des CMS pourraient se développer essentiellement dans les milieux urbains comme Montréal et Québec.
Le Conseil du statut de la femme révélait dans son étude qu’en 2006, dans la région de la Mauricie-Centre-du-Québec, le Centre de santé des femmes a réalisé plus de 50 % des interruptions volontaires de grossesse, alors qu’en Outaouais, c’est 98 % des interruptions volontaires de grossesse qui ont été réalisées à la Clinique des femmes de l’Outaouais.
Qu’adviendra-t-il alors des femmes qui ont accès à l’interruption volontaire de grossesse dans leur région, si la Clinique des femmes de l’Outaouais et le Centre des femmes de Trois-Rivières choisissaient de ne pas se convertir et devaient fermer boutique? C’est donc l’accessibilité au service d’interruption volontaire de grossesse, et par le fait même l’autonomie reproductive des femmes, qui est menacée par l’obligation d’offrir ce service dans une CMS.
La gratuité mise en péril
La gratuité complète des services d’interruption de grossesse continuera à être assurée dans les seuls cas où ceux-ci seront offerts par un établissement public ou par une CMS qui a conclu une entente et que la femme y est «référée». En l’absence d’une telle entente, ces services ne seront que partiellement couverts donc, un nombre important de femmes risquent de se voir obligées de payer pour interrompre une grossesse.
Lorsqu’on sait qu’il n’y aura pas nécessairement de CMS dans toutes les régions et que les services ne seront pas entièrement gratuits, à moins qu’il y ait une entente, on doit conclure que, pour beaucoup de femmes, c’est l’accès même aux services qui est compromis.
Nous assistons en fait à une manœuvre qui raye de la carte des services que les femmes s’étaient donnés depuis une trentaine d’années, et ceci, afin d’accorder un monopole au secteur privé. La privatisation est à l’oeuvre : ce ne sont pas les besoins des femmes qui priment mais les intérêts du marché!