L’affront de Michel Girard
Offense faite publiquement avec la volonté de marquer son mépris : c’est ainsi que Le Petit Robert définit le mot « affront ». Cela qualifie précisément ce que nous avons ressenti après avoir d’abord lu le chroniqueur de La Presse, Michel Girard, le 17 octobre 2009, puis après l’avoir entendu le même jour sur les ondes de Radio-Canada.
Le mot « mépris » est faible. Quand Michel Girard parle de l’union de 475 000 salariés comme du « front de bœuf », il manifeste une aversion sans égal à l’égard d’organisations syndicales qui ont la responsabilité et le devoir de défendre leurs membres. Il profite pourtant lui-même de bonnes conditions de travail, durement négociées par sa propre organisation syndicale.
Nous osons croire que ses propos ont été dictés par un égarement passager…
Nous osons également croire qu’il a une appréciation positive du travail quotidien de ceux et celles qui travaillent pour et auprès de l’ensemble des contribuables : des jeunes enfants sur les bancs d’école, des adolescents, des citoyens, des immigrants, des malades, des handicapés, des invalides, des mourants. À titre de contribuable, monsieur Girard profite de l’ensemble des services publics, allant de l’utilisation des infrastructures (routes, aqueducs, électricité…) jusqu’aux services gouvernementaux, en passant par l’éducation et la santé.
Que dire de la réalité budgétaire ?
En 2009-2010, le déficit du Québec devrait atteindre 3,9 milliards de dollars, soit 1,3 % du PIB. Ce qui le place très bien lorsqu’on le compare avec d’autres économies : 3,5 % au Canada, 9,9 % aux États-Unis, 8,2 % en France, 11,5 % en Grande-Bretagne, 8,6 % en Espagne, 4,5 % en Italie, 2,6 % en Suède.
C’est la récession et les concessions fiscales du gouvernement Charest qui ont creusé le déficit, pas les dépenses excessives. Depuis cinq ans, le Québec arrive à l’avant-dernier rang canadien pour ce qui est de la croissance des dépenses : 4,6 % par année en moyenne, comparativement à 6,6 % pour le reste du Canada.
Et que dire de la masse salariale ?
M. Girard nous rappelle que la masse salariale représente environ 55 % du budget du Québec.
Nous vous rappelons, nous, que comme toute entreprise publique, la main-d’œuvre – ce que les économistes appellent le « capital humain » – compte pour la principale ressource, contrairement à une entreprise industrielle où la machinerie et la technologie représentent une proportion plus grande du capital total. Il est donc normal qu’elle compte pour une plus grande partie du budget.
À Radio-Canada, par exemple, où Michel Girard a ses entrées, la masse salariale représente 60 % du budget, et certaines provisions ont déjà été prévues pour les prochaines années. Dans son dernier rapport annuel, la Société d’État explique avoir déjà reçu du financement public au titre de l’inflation salariale.
Michel Girard bénéficie de ces améliorations, en même temps, tristement, qu’il en appelle au gel des salaires pour les salariés des écoles, des hôpitaux et des services gouvernementaux. « Zéro ! », a-t-il réclamé sur les ondes de Radio-Canada. C’est une honte.
Il prétend que le gouvernement devra puiser davantage dans les poches des contribuables.
Le gouvernement Charest a fait ses choix, en multipliant les baisses d’impôts depuis des années. Pour des motifs électoralistes, il a ainsi dilapidé des milliards de dollars de façon injustifiée, dont le règlement fédéral du déséquilibre fiscal. Pour le prochain budget, il se privera de 1,5 milliard découlant de réductions d’impôts aux particuliers et de 1 milliard découlant des allègements fiscaux consentis aux entreprises.
Michel Girard rappelle à juste titre que le Québec a vu nombre d’entreprises fermer leurs portes et mettre à pied des dizaines de milliers de travailleurs. Nous sommes bien placés pour en parler : une bonne partie de ceux-ci sont nos membres et nous avons réclamé et réclamons toujours les mesures qui s’imposent pour amoindrir le choc.
Nous tenons à lui dire que n’eût été la présence de milliers de travailleurs des secteurs public et parapublic dans certaines régions, la situation se serait empirée. Représentant parfois jusqu’à 20 % de la main-d’œuvre totale en région, ces travailleurs et travailleuses sont aussi des contribuables qui, en plus de contribuer quotidiennement au bien-être de leurs concitoyens, retournent une grosse partie de leur paye à l’État alors que le reste sert à faire tourner l’économie.
C’est d’ailleurs grâce à l’importance du secteur public que le Québec a mieux résisté à la récession. C’est normal qu’un déficit se creuse en temps de récession, mais ce n’est pas une raison pour saccager les services publics de santé, d’éducation et les programmes sociaux.
L’endettement public correspond à des investissements pour soutenir les secteurs industriels et restaurer les infrastructures. Dans une économie moderne, les activités économiques sont interreliées et les services publics ne sont pas l’excroissance pustuleuse que semble croire Michel Girard. Il s’agit de services au cœur du bien-être de la population.
Ceux et celles qui ont subi un gel des salaires de 33 mois entre 2003 et 2005, alors même que l’économie allait bon train, méritent aujourd’hui le respect plutôt que le mépris.
Pierre Beaulne, économiste SISP
Lise Pomerleau, économiste CSN
Monique Audet, économiste FTQ