La santé du personnel durement affectée par la mauvaise gestion
Montréal, le 23 mars 2010 – Les changements organisationnels ne peuvent être implantés dans le réseau de la santé et des services sociaux selon un modèle productif industriel de type Toyota et sans tenir compte des dimensions émotionnelles et relationnelles fondamentales liées au travail dans les services. C’est ce qu’illustre une enquête menée par Angelo Soares de l’École de gestion de l’UQAM, qui met en lumière les répercussions sur la santé psychologique des personnes salariées de la mauvaise gestion des ressources humaines au sein du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) d’Ahuntsic et Montréal-Nord.
L’enquête révèle que 40 % des salariés de l’établissement présentent des symptômes de détresse psychologique élevée. C’est le double des résultats obtenus par différentes études pour la population québécoise en général. Les résultats indiquent de plus qu’un travailleur sur quatre est dans un état d’épuisement émotionnel.
De nombreux témoignages de détresse reçus par les porte-parole locaux de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec – FIQ sont à l’origine de la demande de diagnostic organisationnel adressée au professeur Soares. Son diagnostic est basé sur les réponses de 38 % des salariés à un questionnaire de 20 pages conçu pour évaluer leur état en fonction de deux indicateurs de la santé mentale, soit la détresse psychologique et l’épuisement professionnel.
Interrogés sur les dimensions organisationnelles à l’origine de leur stress et de leur difficulté à s’adapter aux changements incessants qui leur sont imposés, 65 % des répondants disent éprouver un sentiment d’injustice, 60 % critiquent le manque de communication et 55 % mentionnent l’impossibilité de développer leurs compétences. En outre, 52 % des répondants perçoivent une incohérence entre leurs valeurs et objectifs personnels et ceux de l’organisation, 50 % soulignent l’absence de participation à la supervision, 40 % se plaignent de la surcharge de travail et 39 % déplorent le manque d’autonomie et de reconnaissance.
À la suite des changements organisationnels des dernières années, 44,8 % des personnes interrogées ont observé une détérioration de la qualité du travail dans leur unité en raison de la pénurie de la main-d’œuvre, de la mauvaise communication et de l’inexpérience du personnel provenant des agences de placement.
En conséquence, 22,8 % prévoient quitter leur emploi dans les 12 prochains mois. L’insatisfaction au travail accroît donc les difficultés de rétention du personnel dans un secteur qui fait face à une importante pénurie de main-d’œuvre.
La principale raison pour laquelle les employés veulent quitter leur emploi est la charge de travail, suivie des mauvaises pratiques de gestion, du manque de respect et de la rémunération insuffisante. De plus, 37,4 % prévoient prendre leur retraite, ce qui ne présage rien de bon pour la charge de travail dans un avenir rapproché. Si les conditions de travail s’amélioraient, 61,2 % reporteraient leur départ.
Plus grave encore, 24,2 % des travailleuses et des travailleurs qui ont participé à l’étude ont été touchés par le harcèlement psychologique au cours des six derniers mois. Certains résultats indiquent que cet état de fait existe au sein de l’établissement depuis plusieurs années et 26,3 % des personnes qui en ont été la cible identifient leur supérieur hiérarchique comme étant le harceleur. Or, depuis 2004, le Québec est doté d’une loi qui assure à tout salarié le droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et oblige l’employeur à agir en conséquence.
Intitulé « La qualité de vie au travail – La santé malade de la gestion », le rapport de l’enquête conclut que toutes les variables étudiées présentent des lacunes importantes. La surcharge de travail vient en tête suivie de huit variables dont l’amélioration ne requiert pas de budget spécial, mais seulement un assainissement de la gestion.
La prévalence élevée de la détresse psychologique, des symptômes d’épuisement émotionnel et le harcèlement psychologique sont des indicateurs d’une dégradation des conditions de travail, ainsi que de la qualité de vie et de la santé mentale des travailleuses et des travailleurs du CSSS. « Comment peut-on expliquer une telle gestion inhumaine des ressources? », s’interroge le chercheur dans sa conclusion.
Télécharger le rapport de l’enquête : La qualité de vie chez les membres de l’APTS, la CSN et la FIQ au CSSS Ahuntsic/Montréal-Nord – La santé malade de gestion
Profil de l’établissement et du personnel
Le CSSS d’Ahuntsic et Montréal-Nord regroupe le CLSC d’Ahuntsic et le CLSC de Montréal-Nord, les centres d’hébergement publics de Louvain, Laurendeau, Légaré et Paul-Lizotte, pour un total de 688 lits, ainsi que l’hôpital Fleury, qui compte 174 lits de soins généraux et spécialisés.
Les 1 240 personnes salariées qui étaient en poste au CSSS au moment de l’enquête sont représentées par trois organisations syndicales. L’APTS regroupe le personnel professionnel et technique, les membres de la FSSS-CSN proviennent du personnel administratif et de soutien et finalement la FIQ représente les professionnelles en soins.