La FIQ n’est pas en guerre contre l’OIIQ
Le 7 avril dernier, conformément au mandat qui lui fut confié par la délégation du Conseil fédéral, la FIQ exprimait sur la place publique ses inquiétudes au regard du dossier de la formation initiale des infirmières. En effet, le rehaussement de la formation initiale, c’est-à-dire de la norme d’entrée à l’exercice de la profession infirmière au Québec, entrainera assurément une réforme majeure du réseau québécois de la santé et la Fédération ne pouvait rester dans l’ombre.
Telle que formulée au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), la position de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) ne peut être plus claire. L’OIIQ a fait son travail et a répondu aux questions relevant de son mandat. Par contre, qu’en est-il des autres acteurs concernés?
Le rôle et les responsabilités de chaque membre de l’équipe de soins seront affectés par le rehaussement de la formation initiale de leurs collègues infirmières. L’équipe de soins implique une collaboration étroite et un travail effectué en interdisciplinarité, où chaque membre apporte une expertise particulière et complémentaire à celle de ses autres membres. Il est donc utopique de penser que la modification d’une composante de l’équipe de soins puisse se faire sans qu’il n’y ait d’impacts sur les professionnelles en soins et sur la dispensation des soins aux patient-e-s.
Le MSSS doit nous informer : quand compte-il engager des discussions avec l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires (OIIAQ) et l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec (OPIQ) sur la transformation attendue au sein de ces professions et sur l’impact de changements potentiels aux normes d’entrée à ces mêmes professions. Notons que ni l’OIIAQ ni l’OPIQ n’ont été invités à participer aux travaux du groupe de travail interministériel-partenaires et qu’ils demeurent toujours silencieux sur la question.
Une modification du rôle de l’infirmière auxiliaire aura-t-elle un impact sur celui du-de la préposé-e aux bénéficiaires? Si oui, dans quelle mesure? Les rôles d’autres intervenant‑e‑s du réseau de la santé seront-ils affectés? On l’ignore.
Le réseau universitaire, qui peine actuellement à répondre à la demande de formation en soins infirmiers, doit indiquer les mesures qu’il mettra en place afin d’accueillir ce flot de nouvelles étudiantes. Où trouvera-t-on le personnel enseignant requis alors qu’on appréhende déjà une pénurie dans ce secteur?
La Fédération des cégeps, qui dit partager l’idée d’un rehaussement de la formation du personnel infirmier, affirme cependant que toute remise en question du modèle de formation doit se baser sur une analyse rigoureuse des besoins actuels et futurs de la population québécoise et que cette analyse doit porter sur l’ensemble du personnel composant l’équipe de soins. Cette analyse n’a pas été réalisée.
L’OIIQ se veut rassurant en affirmant que les infirmières détentrices d’un diplôme d’études collégiales, au moment de la mise en place de la réforme, seront reconnues. Comment cette reconnaissance se traduira-t-elle au MSSS? Dans les établissements du réseau de la santé? On l’ignore.
Trois ans après la mise en place de la nouvelle norme d’entrée, les infirmières qui auraient normalement reçu leur diplôme du collégial ne seront pas au rendez-vous. Quel effet cela aura-t-il sur la pénurie vécue à la grandeur du réseau? Tout au plus seront-elles confinées à un statut temporaire limité, nécessitant la supervision d’infirmières expérimentées. Quels sont les paramètres qui serviront à encadrer ce statut temporaire? On l’ignore.
À combien se chiffreront les mesures de valorisation requises pour compenser l’augmentation des tâches et des responsabilités de toutes les professionnelles en soins? À combien montera la facture liée à la formation universitaire de toutes les nouvelles infirmières? À combien montera celle d’une formation plus poussée qui pourrait être imposée aux infirmières auxiliaires? Le Conseil du trésor peut-il garantir que le gouvernement en place, au moment de l’entrée en vigueur de cette nouvelle norme, aura à sa disposition les budgets requis par le réseau de l’éducation et par celui de la santé? On l’ignore… mais, au regard des compressions budgétaires qui leurs sont présentement imposées, on peut imaginer la réponse.
La FIQ n’est pas en guerre contre l’Ordre des infirmières. L’OIIQ a clairement énoncé sa position et nous en prenons acte. Toutefois, l’OIIQ ne peut se prononcer au nom du MSSS, du ministère de l’Éducation, du Conseil du trésor, de l’OIIAQ, de l’OPIQ et de combien d’autres encore. Ce sont ces organismes qui doivent maintenant s’engager auprès des professionnelles en soins de la FIQ et de la population qu’ils desservent.
C’est une réforme majeure qui s’annonce dans le réseau de la santé et des services sociaux. En fixant sa date d’entrée en vigueur en 2014, nous nous privons de toute marge de manœuvre devant les problèmes qui risquent de surgir. Pouvons-nous nous permettre de replonger dans le pattern habituel des réformes des dernières années au Québec, c’est-à-dire à la va-comme-je-te-pousse? Vivons-nous présentement un tel état d’urgence qu’il soit absolument impensable d’envisager retarder de 3 ans, voire peut-être 5 ans, l’application d’une nouvelle norme d’entrée?
Je suis infirmière. Ma formation m’amène à évaluer l’état de santé d’une personne dans sa globalité et à appliquer des mesures préventives lorsque requises, le tout à la lumière d’une analyse scientifique rigoureuse, s’appuyant sur des faits et non de vagues suppositions. La situation actuelle n’en exige pas moins.