Le baron du bel âge : Un allié inattendu
Depuis la création de notre organisation, nous avons toujours pris soin de souligner avec une grande insistance l’incompatibilité viscérale entre deux objectifs pourtant louables en soi. Vouloir faire de l’argent, ce n’est pas mauvais, entendons-nous. Chacune et chacun, à notre manière, nous cherchons à améliorer notre sort et à avoir plus de ressources financières afin d’assurer une certaine sécurité matérielle pour nous et nos proches. C’est bien correct.
Par ailleurs, vouloir soigner des gens, prendre soin d’eux, leur fournir un environnement sain, sécuritaire, stimulant et humain, c’est un objectif tout autre. Celui-là, je le connais bien, en tant que professionnelle en soins, c’est souvent cet objectif qui nous fait lever le matin et nous remplit de satisfaction à la fin de notre journée.
Faire de l’argent. Prendre soin de personnes vulnérables. Voilà à mon sens deux objectifs nobles qui ne peuvent aller de pair, pour la simple et bonne raison que la volonté de faire des profits ne peut qu’être satisfaite, en santé et dans les services sociaux, qu’au détriment du deuxième objectif. Dans les soins et services de santé, ce n’est pas compliqué, les postes de dépenses, ce sont les salaires des travailleuses et travailleurs et les biens et services que l’on fournit aux patient-e-s. Donc, pour faire PLUS de profit, il faudra nécessairement DIMINUER l’enveloppe salariale dédiée aux employé-e-s et/ou rogner sur les services aux patient-e-s. Qui plus est, quand on diminue l’enveloppe salariale, on se trouve irrémédiablement à rogner les services aux patient-e-s.
Bref, même si cela me paraît si simple à comprendre, il est pour le moins inquiétant de constater la facilité avec laquelle on laisse proliférer de façon massive des ressources d’hébergement privé à but lucratif pour personnes âgées en perte d’autonomie. À la FIQ, nous avons beau crier sur toutes les tribunes notre désarroi devant l’idée qu’une génération complète de personnes en situation de vulnérabilité sera livrée à des entrepreneurs de la vieillesse, rien ne semblait y faire… jusqu’à l’intervention d’un allié aussi inattendu qu’efficace.
De par sa candeur légendaire, son naturel désarmant et son infinie transparence, M. Eddy Savoie, propriétaire des Résidences Soleil, nous offre chaque jour une démonstration pratique et sans équivoque de l’incompatibilité profonde entre soifs de profits et la possibilité d’offrir soins et services de qualité par du personnel respecté. L’homme de 1,5 milliard $ pouvait bien être réticent à ce que soit révélée au grand jour l’étendue de sa fortune dormant en partie à l’étranger, le printemps dernier.
En effet, une fois révélée l’opulence de son butin, il devient plus ardu de camoufler son avarice par des présences à des CA de bonnes œuvres et autres séances de coupage de ruban destinées à enrichir le mythe du bon père de famille/bâtisseur/mononcle gentil. Parce que pour amasser une telle fortune, Eddy Savoie a dû rogner sur les conditions de travail de ses employé-e-s et sur les services aux personnes hébergées. Des personnes hébergées et leur famille intimidées, des travailleuses et travailleurs qui risquent de se faire poursuivre si elles-ils ont le malheur de révéler les piètres conditions dans lesquelles elles-ils vivent et travaillent, afin de permettre au gentleman du bel âge de faire fortune. En ce sens, malgré toute les injustices dont nous sommes témoins au quotidien en tant que professionnelle en soins, le jugement Morrison ayant condamné Eddy Savoie à payer près de 300 000 $ à Mme Pierrette Thériault-Martel, qu’il avait affligé d’une poursuite bâillon, me redonne foi en l’idée que dans cette cause, justice a été rendue.
J’en profite du même coup pour exprimer ma solidarité envers les travailleuses et travailleurs de toutes catégories et organisations qui subissent au quotidien les affres du patriarche Savoie. J’ose espérer qu’un jour, nous nous unirons sur un même front afin de redonner un peu de ce milliard et demi de dollars aux travailleuses et travailleurs de la santé et aux personnes âgées qu’elles-ils soignent. J’ose également espérer qu’un jour, le modèle Eddy Savoie en santé sera chose du passé et que les ressources financières publiques n’iront pas dormir à l’étranger dans le compte d’un quelconque baron du bel âge, mais serviront à offrir un peu plus de dignité.