Projet de loi 87: rien pour empêcher l’intimidation et mettre fin à l’Omerta dans le réseau de la santé
« Ce projet de loi est incomplet et ratera ses objectifs s’il est adopté tel quel. Présentement, plusieurs gestionnaires du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) utilisent les menaces et la peur pour empêcher que des professionnelles en soins dénoncent des situations inacceptables qui compromettent la qualité et la sécurité des soins aux patients. Et quand certaines osent courageusement dénoncer, elles sont soit suspendues sans salaire, soit congédiées, ou encore, elles reçoivent des avis disciplinaires. C’est véritablement l’omerta qui a cours dans le réseau de la santé. Plusieurs gestionnaires sont plus préoccupés par leur image que par l’intérêt public. Nous avons fondé beaucoup d’espoir dans ce projet de loi, mais rien ne garantit, dans sa forme actuelle, que les professionnelles en soins qui dénonceront des actes répréhensibles seront protégées. Au nom de l’intérêt public et au nom de la justice, il est plus que temps que l’Assemblée nationale légifère pour protéger les lanceurs d’alertes. » C’est en ces termes que la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec – FIQ, Régine Laurent, accompagnée de la vice-présidente Nancy Bédard, a présenté le mémoire de son organisation aux consultations particulières de la Commission des finances publiques sur le projet de loi 87, Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles dans les organismes publics.
« L’omerta dans le réseau de la santé ne date pas d’hier. Néanmoins, nous avons remarqué que cette attitude despotique s’est accentuée depuis l’adoption du projet de loi 10. Il y a d’abord eu la phase où tous les gestionnaires étaient en opération charme auprès du ministre de la Santé pour conserver leur emploi, aucune critique susceptible de les faire mal passer aux yeux du ministre n’était tolérer. Maintenant, avec les pouvoirs que s’est attribués le ministre avec son projet de loi, qui lui donnent le droit de vie ou de mort sur l’ensemble des gestionnaires des CISSS et des CIUSSS, le climat de paranoïa chez les cadres du réseau s’accroît de jour en jour. La dénonciation d’actes répréhensibles ou de situations aberrantes pouvant compromettre la qualité et la sécurité des soins dans le réseau de la santé et des services sociaux est complètement défaillante et le projet de loi 87 doit être modifié pour pouvoir y répondre », a poursuivi Nancy Bédard.
Après une analyse sérieuse du projet de loi et de son applicabilité aux professionnelles en soins qui pratiquent dans le réseau de la santé et des services sociaux du Québec, la FIQ considère que celui-ci crée l’illusion d’une protection des professionnelles contre les représailles, lors de la divulgation d’acte répréhensible. D’abord, le projet de loi omet deux recommandations majeures, les numéros 8 et 9, émanant du rapport de la commission Charbonneau, sur la création d’un régime de protection contre les représailles pour les lanceurs d’alerte, soit la protection de leur identité, l’anonymat, peu importe l’instance à laquelle ils s’adressent et une protection complète, lors de la levée du secret professionnel, face aux poursuites possibles devant le syndic de l’ordre ou le tribunal des professions.
La FIQ constate également que les entreprises privées qui ont des relations d’affaires avec les organismes publics sont protégées par le projet de loi 87 qui omet volontairement de les soumettre à son application. Autre lacune, le projet de loi n’offre aucune garantie que la gouvernance interviendra efficacement pour mettre fin aux actes répréhensibles dès qu’ils lui seront signalés et la définition de ces actes répréhensibles est imprécise et incomplète. Par ailleurs, il y a tout lieu de se questionner sur la partialité du responsable du suivi des divulgations d’actes répréhensibles à l’intérieur des organismes publics.
Ainsi, la FIQ soumet aux parlementaires 13 recommandations visant à renforcer le projet de loi. Celles-ci ont pour objectif d’établir un réel régime de protection de l’État contre les représailles, en plus d’améliorer l’identification des actes répréhensibles.
- Que le projet de loi no 87 contribue à protéger l’identité des personnes qui divulguent des actes répréhensibles dans l’organisme visé, surtout dans le mécanisme de divulgation interne;
- Qu’on y inclut les entreprises du secteur privé ou, à tout le moins, celles qui entrent en relations d’affaires avec les organismes publics visés, ainsi que leurs sous-traitants;
- Qu’on ajoute à la définition d’acte répréhensible le fait d’exercer des représailles ou de menacer d’exercer des représailles à l’endroit d’une personne qui divulguerait un acte répréhensible;
- Qu’on ajoute à la définition d’acte répréhensible les actes impliquant la collusion, la corruption, la malversation, l’abus de confiance ou le trafic d’influence (art. 59.1.1 du Code des professions);
- Qu’on précise, dans la définition d’acte répréhensible, la notion de cas grave de mauvaise gestion;
- Qu’on rende imputables les gestionnaires agissant de manière répréhensible ou ayant ignoré les actes répréhensibles commis sous leur gouverne;
- Que le projet de loi no 87 édicte des obligations de promouvoir la divulgation, la formation, les moyens pris et les résultats obtenus grâce aux divulgations dans les organismes visés;
- Que la définition d’acte répréhensible précise la notion de manquement grave aux normes éthiques et aux codes de déontologie;
- Que la direction des ressources humaines soit spécifiquement exclue des mécanismes de suivi des divulgations à l’interne et du rôle de responsable du suivi des divulgations;
- Que soit confié au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) le pouvoir d’attribuer, au nom de l’intérêt général et après consultation des autorités concernées, certains avantages aux témoins membres d’un ordre professionnel, notamment d’ordonner l’arrêt de toute procédure disciplinaire ou de toute procédure civile entreprise par l’autorité publique;
- Que le projet de loi ajoute aux mandats du Protecteur du citoyen la mise en place d’un service d’accompagnement et d’assurance juridique pour supporter les personnes qui divulguent ou qui doivent participer à la divulgation d’un acte répréhensible;
- Que soient précisées les mesures de suivi des recommandations émises par le Protecteur du citoyen (délais et résultats);
- Que le Protecteur du citoyen obtienne les ressources humaines et financières nécessaires pour répondre à son mandat élargi, relativement à la divulgation d’actes répréhensibles. « Le législateur doit pouvoir répondre à la crise majeure de confiance de la population québécoise à l’égard de ses institutions. Ce projet de loi est nécessaire, mais il doit être bien fait. Les lanceurs d’alertes doivent être protégés convenablement et c’est la responsabilité du gouvernement et des députés de s’en assurer », a conclu Régine Laurent.