Corrélation inquiétante
On le répète sans arrêt, l’impact de l’organisation du travail et de la pratique professionnelle sur la qualité des soins est bien réel. Et voilà que Christian M. Rochefort, professeur de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke vient donner un peu plus de poids à cette affirmation. Les résultats de ses travaux, présentés au dernier congrès de l’ACFAS, indiquent en effet que la gestion des ressources humaines, notamment le recours au temps supplémentaire (TS) et la composition des équipes de soins ont une incidence sur les soins aux patients. Il fait d’ailleurs la démonstration de l’existence d’une corrélation entre le TS et le risque de mortalité en milieu hospitalier : à chaque augmentation de 5 % de la quantité d’heures supplémentaires, les risques de mortalité grimpent de 3 %.
L’utilisation systématique du TS n’est pas non plus sans effet sur les professionnelles en soins. On sait déjà que les professionnelles en soins qui doivent constamment conjuguer avec du TS ont deux fois plus de chance de vivre une dépression et de l’insatisfaction face à leur emploi [ 1 ].
L’étude de monsieur Rochefort met également en lumière la présence de risques liés à une autre pratique de plus en plus répandue dans le réseau et qui consiste à substituer des professionnelles en soins par d’autres types d’emplois sans tenir compte des rôles, tâches, fonctions et responsabilités de chacune, ainsi que de l’organisation du travail.
Le plus inquiétant dans tout ça, c’est quand on y regarde de plus près, le recours à ces pratiques n’est pas une fatalité. Il découle le plus souvent d’une mauvaise gestion, sans planification, sans vision et sans analyse : compressions budgétaires, suppressions de postes, incompréhension du rôle de chacune des professionnelles en soins, etc.
Prenons seulement le cas du CSSS de la Vieille-Capitale où les infirmières et les infirmières auxiliaires ont travaillé respectivement 32 248 et 27 324 heures supplémentaires en 2014-2015, soit l’équivalent de 20 postes d’infirmières et de 17 postes d’infirmières auxiliaires à temps complet. Durant la même période, 1 377 799 $ ont été versés au secteur privé pour contracter les services d’une main-d’œuvre indépendante (MOI), alors que 121 infirmières et 46 infirmières auxiliaires attendaient leur chance sur la liste des « temps partiels occasionnels », condamnées à une précarité évitable [ 2 ].
Quoi qu’en disent les décideurs du réseau, la gestion des ressources humaines dans le monde de la santé a des effets directs sur la qualité des soins. C’est d’ailleurs pour cette raison que lors de la négociation pour la dernière convention collective, nous avons obtenu que des mesures concrètes soient mises en place pour encadrer le nombre de patients qu’une professionnelle en soins devrait avoir à sa charge, en menant des projets pilotes qui permettront d’établir des ratios minimums et des mécanismes de suivis.
Notes
Note 1 : Stimpfel, A. W., Sloane, D. M., & Aiken, L. H. (2012). The Longer The Shifts For Hospital Nurses, The Higher The Levels Of Burnout And Patient Dissatisfaction. Health Affairs (Millwood), 31(11), 2501–2509.
Note 2 : Étude des crédits 2016-2017 de l’Assemblée nationale (pages 246, 251, 282 (vol.1).