Intersectionnalité et sécurisation des soins | Prendre conscience et agir !
Si le féminisme analyse les rapports de pouvoir entre les sexes, l’approche intersectionnelle permet quant à elle de pousser la réflexion plus loin. Quels sont les systèmes d’oppressions au sein même du mouvement féministe? Est-ce que les femmes sont égales entre elles? Qui se trouve à l’intersection des oppressions? Est-ce que la réalité des femmes noires, par exemple, est incluse dans la lutte du mouvement féministe, composé à majorité de femmes blanches?
En tant que féministes, l’intersectionnalité est donc au cœur de nos préoccupations. Au cours des dernières années, plusieurs événements sont venus nous rappeler que les discriminations vécues par les femmes sont exacerbées par les différents systèmes d’oppression. On peut penser ici à la stérilisation forcée des femmes autochtones et racisées, à l’accès au logement, à la prestation de soins dans le réseau de la santé, etc. Mais, notre responsabilité ne doit surtout pas s’arrêter à l’étape de la prise de conscience. Il faut aussi s’interroger sur la façon de s’assurer que nous sommes des femmes d’action, progressistes qui agissent pour contrer le racisme au sein de nos rangs, envers nos collègues, auprès de nos patient-e-s ou de la société en général. Voilà les enjeux ayant été au cœur des discussions lors du Réseau des femmes du 27 octobre dernier.
Dès 1989, la féministe afro-américaine Kimberlé Crenshaw s’était penchée sur ces questions, donnant ainsi naissance à la théorie de l’intersectionnalité. Repris par madame Rosa Pires lors de sa conférence, ce concept permet de nommer la variété de système d’oppression tel que le racisme, la classe sociale, le colonialisme ou le capitalisme.
Le prisme de l’intersectionnalité se veut un outil de justice sociale pour dépasser l’universalisme comme conception dominante afin d’atteindre le pluriversalisme. Plus concrètement, cela signifie que pour déconstruire un système d’oppression, les différents récits, les savoirs et les expériences doivent cohabiter ensemble en faisant fi de toute forme de hiérarchie. Mais attention, il est important de prendre en considération que les rapports de pouvoir ne sont pas statiques, ils évoluent dans le temps et ils ne sont pas linéaires. Des retours en arrière sont possibles. Utiliser les lunettes de l’intersectionnalité permet de réduire les discriminations dans les différents paliers de décisions au sein des organisations et dans l’espace public.
Sécurisation culturelle des soins
Une fois le concept de l’intersectionnalité démystifié, les professionnelles en soins ont voulu, avec l’aide de la conférencière Pamela Farman, pousser plus loin leurs réflexions sur les enjeux de discriminations en abordant la question de la sécurisation des soins, un principe au cœur de leur profession.
Pour madame Farman, la sécurisation culturelle désigne des soins qui sont prodigués dans le respect de l’identité culturelle du-de la patient-e, qui visent l’équité et qui sont exempts de relations de pouvoir nocives entretenues par le système de santé. Plus spécifiquement, il s’agit d’offrir des soins de santé équitables, libres de tout biais inconscient.
Cette responsabilité n’incombe pas uniquement aux professionnelles en soins, loin de là. L’organisation du système de santé doit y tenir un rôle prépondérant. Par exemple, existe-t-il un service de traduction pour les personnes dont la langue est un frein à l’accès aux soins de santé? Une formation est-elle offerte au personnel qui travaille avec une population vulnérable ou marginalisée? Les personnes racisées sont-elles la cible de micro-agressions ou de « micro-iniquité »? Toutes ces questions permettent de savoir si une structure est mise en place pour s’assurer de lutter contre le racisme et les discriminations systémiques.
En outre, d’importants liens peuvent être tracés entre la santé et le racisme. L’exposition au racisme est un déterminant social de la santé dans la mesure où cela accentue une inégalité dans les soins offerts. Il est impossible qu’un système aussi violent n’ait pas d’impact sur la santé des personnes qui le vivent et ses répercussions traversent le temps. D’ailleurs, des chercheurs se penchent de plus en plus sur les traumatismes intergénérationnels liés à ces questions.
L’idée derrière la lutte aux différentes couches d’oppression et la sécurisation culturelle des soins, c’est de centraliser les marges. Laissons-nous certaines personnes derrière dans notre lutte pour l’égalité? Qui oublions-nous lorsque nous luttons pour le droit à la santé? Comment créer des espaces de mobilisation exempt de toute forme de violence? Comment réduire les obstacles à la participation à la vie syndicale? Et, par-dessus, comment jeter les bases d’un dialogue où toutes les voix pourront être entendues, vues et reconnues? C’est le défi que nous choisissions de relever à tous les jours. Pour cela, il nous faut postuler que la libération de toutes passera par la liberté des plus marginalisées, des plus opprimées. Au final, personne n’est vraiment libre tant que nous ne le sommes pas toutes…