S’inspirer pour mieux lutter
Se mobiliser pour gagner. Mais gagner quoi et, surtout, gagner comment? Et à quel prix? Voilà des questions que se sont posées plus de cinquante professionnelles en soins âgées de 18 à 35 ans lors du dernier Réseau des jeunes.
Si, pour plusieurs, pouvoir s’organiser et créer un syndicat est un droit acquis, pour d’autres, voire la majorité des personnes dans le monde, les défis sont encore bien trop grands. L’organisation Naujawan (qui signifie « jeunesse » en pendjabi) en sait quelque chose. Le nom de l’organisation a été choisi parce qu’historiquement, les mouvements révolutionnaires indiens étaient menés par des jeunes, mais aussi parce que plusieurs jeunes travailleuses et travailleurs pendjabi-e-s qui se retrouvent en situation d’exploitation, ici au Canada, ont décidé de s’unir pour lutter contre leurs employeurs.
Salaires impayés, conditions de travail pénibles et vulnérabilités administratives liées au statut de travailleuses-travailleurs ou d’étudiant-e-s étranger-ère-s, plusieurs de ces jeunes se retrouvent dans des situations de grande précarité. Ignorant leurs droits, ils-elles sont alors à la merci des personnes qui profitent d’eux-elles.
Comment se mobiliser alors que cela pourrait vouloir dire de perdre son statut migratoire ou sa scolarité? À ces questions, Naujawan répond : par l’information, par l’éducation et par la mobilisation constante.
C’est dans cette perspective que s’ancrent les actions de l’organisation qui, malgré ses modestes moyens, arrive à sauver des emplois, à mettre fin à l’impunité d’employeurs fautifs et à rendre leur dignité aux travailleuses et travailleurs. Simran Dhunna, organisatrice communautaire pour Naujawan, en témoigne : « La mobilisation ne peut se faire sans une éducation politique afin de mettre en lumière les causes systémiques qui rendent possible l’exploitation des plus vulnérables. ». Jour après jour, c’est ce qui anime les membres de cette organisation de première ligne. On pourrait croire que la pandémie les aura déstabilisé-e-s mais, au contraire, elle a contribué à lever le voile sur la dure réalité de celles et ceux qui n’avaient pas droit au télétravail.
Qu’ont en commun une organisation de travailleuses et travailleurs ontariens de Brampton et les professionnelles en soins? La possibilité et la capacité de s’organiser. La défense des droits implique inévitablement la mobilisation, que ce soit pour les travailleuses et les travailleurs migrant‑e-s ou pour les professionnelles en soins. Personne ne le fera à leur place. Cela veut aussi dire qu’il faut prendre des risques, retourner à la base et aller à la rencontre de ses pairs tout en ne laissant personne derrière.
Marcher dans les pas de celles qui nous ont précédées
Une fois la mobilisation identifiée comme seul outil de lutte collective, les participantes du Réseau des jeunes ont pu constater qu’elles proviennent d’une lignée de femmes courageuses, battantes et tenaces. Que ce soit en revendiquant l’accès aux soins de santé pour toutes et tous, le congé parental, l’éradication de la faim ou en tenant non pas une mais deux grèves illégales, les professionnelles en soins d’hier ont su paver le chemin de celles qui les ont suivies.
Ainsi, c’est à travers une discussion intergénérationnelle avec Michèle Boisclair, infirmière et vice-présidente au Comité exécutif de la FIQ de 1993 à 2014, que les participantes ont pu en apprendre davantage sur leur organisation syndicale et mieux comprendre la puissance de la mobilisation. En effet, comment saisir l’importance du syndicalisme si on ne connaît pas l’ampleur des gains qu’il a permis de réaliser?
Pour marquer les esprits, madame Boisclair a notamment évoqué la première grève des infirmières. « En 1976, au terme d’une grève qui aura duré cinq semaines, les infirmières ont pu voir leur salaire augmenter de 44 %. À l’époque, 5 500 infirmières provenant de 29 hôpitaux du Québec s’étaient mobilisées et avaient gagné. […] On peut avoir peur, on peut être fatiguée, mais on n’a pas le droit d’abdiquer. Surtout pas en ces temps d’incertitudes. »
Que ce soit pour les professionnelles en soins en particulier ou pour les femmes en général, les acquis sont fragiles. Jamais les droits des femmes n’ont été aussi menacés qu’actuellement, que l’on pense au droit à l’avortement ou à la montée des discours misogynes, racistes et homophobes décomplexés sur la place publique. Les droits socioéconomiques ne sont pas épargnés. On n’a qu’à penser à la formule Rand qui est sans cesse remise en question par des politiciens qui ne se cachent même plus pour tenir des propos antisyndicaux.
Se mobiliser pour négocier
Après des années de désinvestissement en santé et au sortir d’une pandémie dont les effets se font encore ressentir, il était impératif d’aborder la question de la négociation de la convention collective des professionnelles en soins qui se déroule actuellement. Ainsi, deux membres élues du Comité national de négociation se sont entretenues avec les participantes du Réseau et ont souligné l’importance que toutes prennent leur place en cette période cruciale pour l’organisation.
Comme le disait Naujawan : « Personne ne viendra nous sauver ». Il faut donc nous interroger collectivement sur les moyens d’action qui s’offrent à nous, et il est nécessaire de s’impliquer à tous les niveaux. Ainsi, nous pourrons être à la hauteur de celles qui nous ont inspirées et permis d’arriver là où tout devient possible.