La réalité derrière les déplacements obligatoires
Les déplacements obligatoires, appelés « flexibilité » par le gouvernement, sont actuellement au cœur des négociations entre les 80 000 professionnelles en soins et l’employeur.
Pour permettre aux Québécois-e-s de mieux comprendre les enjeux derrière ces changements forcés d’unité ou d’établissement, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec–FIQ a rendu public le récit de deux infirmières que l’employeur a tenté de déplacer contre leur gré.
« Ça ne pourra jamais être pire que de tuer quelqu’un »
En juillet dernier, alors qu’Annabelle Beaudry s’apprête à débuter son quart de travail sur l’unité psychiatrique où elle travaille depuis deux ans, un membre de la direction lui indique qu’elle doit absolument aller faire un remplacement au débordement en chirurgie, où il manque quelqu’un ce soir-là. Puisqu’elle n’a jamais travaillé en chirurgie, elle refuse poliment l’affectation, en expliquant qu’elle ne sent pas qu’elle ait l’expérience ou l’expertise requises pour ce remplacement, tel que le recommande l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). De plus, il manque déjà deux employés sur l’unité psychiatrique.
Elle subit alors de la pression de l’employeur qui lui laisse entendre que c’est sa faute si ça va mal en chirurgie. Annabelle se fait alors la réflexion à elle-même : « ça ne pourra jamais être pire que de tuer quelqu’un ».
Vers 19 h, alors qu’il manque deux travailleuses sur l’unité psychiatrique, Annabelle est renvoyée chez elle. L’employeur a tenté de l’envoyer en chirurgie à deux autres reprises, sans formation.
« Je ne veux pas avoir ça sur la conscience »
Depuis 2018, Tracey Beaudoin travaille à Plessisville. Elle va au domicile des nouvelles mamans pour vérifier leur état de santé et celui de leur nouveau-né, prodiguer des conseils et vacciner les enfants. L’an dernier, son employeur décide qu’elle devra occasionnellement aller en néonatalogie prendre à sa charge des poupons de quelques heures et des mères qui viennent tout juste d’accoucher.
« J’étais terrifiée. Je n’avais jamais travaillé en néonatalogie et je ne me jugeais pas compétente pour la tâche qu’on m’imposait. J’avais très peur de faire une erreur grave pour une mère ou un enfant. Je ne veux pas avoir sur la conscience pour le reste de ma vie », explique Tracey Beaudoin.
Les déplacements obligatoires mettent en péril la santé des patients
« Quand une professionnelle en soins refuse qu’on l’envoie de force sur une autre unité, ce n’est pas qu’elle ne veut pas soigner les patients, c’est qu’elle estime qu’elle n’a pas l’expertise et l’expérience nécessaires pour correctement prendre soins des patients. Prendre une professionnelle en soins experte sur son unité et l’envoyer ailleurs, boucher un trou, ce n’est pas un gain de soins, c’est une perte d’expertise », conclut Julie Bouchard, présidente de la FIQ.
La FIQ dénonce le manque de vision du gouvernement pour le réseau de la santé du Québec. Plutôt que de mettre en place des mesures qui vont améliorer et sécuriser les soins à la population, comme les ratios, le gouvernement propose plutôt des mesures temporaires qui vont épuiser les professionnelles en soins et les pousser davantage vers la porte de sortie.