Institut universitaire de cardiologie et pneumologie cas #9
Ce numéro que l’on surnommait un ange
Ce matin, j’ai envie de vous raconter une histoire, mon histoire. Je suis infirmière dans un hôpital depuis près de 20 ans. J’adore ma profession, mon métier, celui que je rêvais de faire depuis que j’étais toute jeune. Il y a quelques années, un matin chez moi je me suis effondrée. Mon côté droit sans me prévenir m’a lâché et je me suis écroulée sur le sol. D’infirmière, je suis devenue patiente. On m’a alors donné un diagnostic : sclérose en plaques. Étant dans le milieu, je sais très bien ce que ça peut impliquer. J’ai peur pour mon avenir et je suis anxieuse… Un jour, une collègue à moi et amie, vient me rendre visite et m’apporte un bibelot. C’est un ange de l’espoir. Je m’accroche très fort à ce symbole et il devient un de mes biens les plus précieux. Un jour, en faisant du ménage je l’accroche et il tombe. Sa tête est cassée… Je pleure pendant plus d’une heure, mon conjoint ne comprend pas ce n’est qu’un bibelot. Et bien pour moi non, c’était MON ange, il veillait sur moi et je n’en avais pas assez pris soins. Je l’ai recollée le lendemain. Si on le regarde de loin rien ne parait. Par contre, lorsque je m’approche je vois toujours cette grande fissure que je lui ai faite. En ce moment, c’est comme ça que je me sens. On m’appelle « ange gardien » mais on me traite comme un numéro. Je suis immunossuprimée, j’en suis à mon 4eme échec à la médication pour traiter ma sclérose en plaques. Je sais que bientôt peu d’option s’offriront à moi. Mon neurologue qui me suit et me connait bien. Il sait reconnaitre, juste à me voir, comment je vais sans qu’on se soit parlé. Il m’a fait un billet pour un arrêt de travail. Cependant, le billet médical a été refusé, son opinion ne compte pas. Je suis un ange donc je dois rester au travail malgré son avis, car en ce moment, dans cette pandémie son opinion n’est plus valide. Je suis infirmière, on parle de moi comme un ange mais sur le plancher personne ne se sent traité ainsi. Depuis des années, on nous augmente nos tâches avec des patients de plus en plus lourd à soigner. Nous donnons tout ce que nous avons au travail au détriment, bien souvent, de notre famille. Le citron était déjà desséchée tellement on l’avait pressé, nos infirmières n’avaient déjà plus de jus et maintenant on leur demande d’en donner encore plus. Lorsque je reçois de la reconnaissance ou des remerciements dans mon milieu, ils viennent toujours de mes patients, pas de mes supérieurs qui eux aussi doivent fournir les services en nous exigeant toujours plus. Bref, cher monsieur Legault, cessez de nous appeler vos anges. Ce n’est pas ainsi que l’on traite des anges, exceptée si comme un ange doit l’être, vous nous voulez déjà au ciel. Comme mon bibelot vous nous fissurez un peu plus chaque jour. Un jour, on ne le verra peut-être plus, mais nous resterons abimées. Mes collègues ont peurs et donne tout ce qu’elles ont. Nous irons toute nous battre, on est forte et on veut le meilleur pour nos patients, mais ne soyez pas surpris par la suite de voir que plusieurs quitterons le navire une fois cette guerre terminé…. Continuez de nous appeler vos anges sans mieux nous protéger, c’est vrai à la télévision ça parait bien mieux.
De l’ange numéro 9876, car vos anges ne demeurent que des numéros.