Les 20 et 21 mai prochains auront lieu les États généraux de la profession infirmière. Initiés par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), ce sont plus de 58 avis, 42 mémoires et des centaines de commentaires qui ont été soumis, au cours des dernières...
Les 20 et 21 mai prochains, des États généraux de la profession infirmière auront lieu, contexte oblige, virtuellement. La FIQ et la FIQP ont déposé conjointement un mémoire en prévision de cet important événement. D’ici ce rendez-vous attendu, quelques éléments importants seront diffusés ici.
Au Québec, les infirmières ne sont toujours pas reconnues à leur juste valeur à titre de professionnelles de la santé. La FIQ et la FIQP identifient plusieurs facteurs comme étant les principaux obstacles au déploiement des rôles et compétences infirmiers: des gestionnaires qui se déchargent de leurs responsabilités au détriment des infirmières, la non-prise en compte de l’expertise des infirmières en soins directs, la culture de l’omerta, les pratiques de gestion punitives ainsi que la dégradation accélérée des conditions de travail. Le déploiement des compétences infirmières est indispensable pour leur satisfaction au travail et pour répondre aux besoins de santé de la population. Des actions doivent être entreprises pour favoriser à la fois un plein déploiement de ces compétences et assurer la santé et le bien-être de ces professionnelles essentielles pour le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS).
Mais avant de se projeter vers l’avenir, il est nécessaire de bien comprendre dans quel contexte les infirmières doivent actuellement pratiquer leur profession.
Savoirs infirmiers et compétences infirmières : mieux y recourir
pour mieux soigner
La FIQ et la FIQP constatent un manque de leadership infirmier à l’échelle de la province et un faible engagement des établissements de santé dans le déploiement des compétences infirmières. En ce sens, les gestionnaires en soins infirmiers doivent pouvoir influencer la gestion des ressources humaines lorsque celle-ci a un impact sur la qualité et la sécurité des soins. Particulièrement en contexte de pénurie, tous les acteurs doivent être impliqués pour lever les obstacles à la pratique infirmière, mieux utiliser leurs compétences et donner un sens à leur travail.
Reconnaître l’expertise
Le manque d’écoute qu’a l’ensemble de la profession infirmière, lors de la pandémie et depuis de trop nombreuses années, est déplorable. Leur expertise n’est pas reconnue dans la prise de décisions relatives aux soins. Quand la gestion ne respecte pas d’emblée le jugement clinique des infirmières, cela se traduit en une non-reconnaissance de l’autonomie des professionnelles en soins directs par les gestionnaires et décideur-e-s infirmier-e-s. Ainsi, plutôt que de promouvoir le rayonnement de la profession et l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, on renforce une culture de l’omerta et du contrôle excessif.
Des méthodes inadéquates
Par ailleurs, au cours des dernières années, on a vu les gestionnaires accorder une préséance aux outils de mesures et aux modes de gestion ayant comme objectif une rationalisation des ressources reléguant à l’arrière-plan la préoccupation pour la qualité, la sécurité et les droits des patient-e-s (ex. : lean, six sigma, approche temps-mouvement). La culture actuelle de gestion des ressources humaines et de la mesure dévalorise le travail infirmier. Dans le réseau de la santé, on constate donc que le droit des patient-e-s de recevoir des soins sécuritaires et de qualité n’est plus au cœur des préoccupations de gestion.
Pistes d’actions
Ce bref tour de piste de l’état de la situation permet de voir le long chemin à parcourir pour mieux reconnaître et utiliser les compétences infirmières et souligne l’importance d’actions concertées de différent-e-s acteur-trice-s pour y arriver. La FIQ et la FIQP proposent des pistes d’actions, en plus de pouvoir jouer un rôle dans plusieurs d’entre elles. En voici quelques-unes :
Instaurer sans délai des ratios sécuritaires infirmières/patient-e-s permettant d’avoir des équipes de soins suffisantes et stables. Et, contribuer à l’élaboration d’un plan d’implantation progressif permettant leur déploiement. De tels ratios favorisent une charge de travail sécuritaire et l’enrichissement de la pratique tout en libérant le temps nécessaire pour réaliser l’ensemble des soins requis par les patient-e-s. Ils sont aussi un levier de reprise de pouvoir du leadership infirmier en matière de sécurité et de qualité des soins.
Reconnaître aux niveaux clinique, professionnel et juridique le rôle infirmier de défense et de promotion des droits et intérêts des patient-e-s (advocacy), tant au niveau individuel que collectif.
Vulgariser et faire connaître les activités infirmières de façon concrète, comme le font d’autres professions (ex. pharmaciens) pour amener un positionnement favorable aux niveaux politique, populationnel et interprofessionnel.
Déployer au maximum les rôles et pouvoirs infirmiers déjà existants en cohérence avec les normes et standards professionnels (ex. prescription) pour améliorer les conditions de travail et d’exercice. Enjoindre les employeurs du RSSS à déployer les rôles contribuant à enrichir la pratique infirmière.
Modifier le Code de déontologie des infirmières et infirmiers pour y inscrire la responsabilité des infirmières occupant des fonctions de gestion en lien avec les décisions affectant la sécurité, la qualité des soins et les droits des patient-e-s ainsi que l’applicabilité des articles du Code de déontologie à leurs activités.
Réinscrire l’infirmière dans un rôle de promotion de la santé, d’information, de prévention de la maladie, des accidents, du suicide et des problèmes sociaux auprès des individus, familles et collectivités ; développer et valoriser le rôle de consultation infirmier auprès des patient-e-s dans une optique de professionnalisation.
Impliquer significativement des infirmières en soins directs dans l’élaboration et la publication de guides de pratique concrets, et ce, pour tenir compte du contexte organisationnel d’un établissement sous la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS). Prévoir le soutien clinique et les ajustements à l’organisation du travail pour permettre leur déploiement et leur application.
Mettre en place des normes de soins infirmiers et des directives nationales demandant, avec reddition de comptes, aux établissements de santé de déployer pleinement le champ d’exercice infirmier.
Élargir la portée du Règlement sur certaines activités professionnelles qui peuvent être exercées par une infirmière et un infirmier (prescription infirmière) et rendre son déploiement obligatoire dans les milieux cliniques par un mécanisme national.
Développer des ordonnances collectives nationales d’application obligatoire dans le RSSS.
Renforcer le rôle des CII, notamment par l’ajout de ressources pour exercer leur mandat, et par la création d’un CII national chapeauté par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
Développer et impliquer les infirmières dans des dossiers de pratique professionnelle mettant en valeur les rôles et le jugement clinique infirmier à l’intérieur de l’équipe de soins et avec d’autres professionnel-le-s de la santé. La FIQ et la FIQP, par leur caractère interprofessionnel, peuvent amener une perspective terrain sur le volet interprofessionnel de l’équipe de soins et favoriser le dialogue, aider à informer et à intervenir en ce sens.
Faire de la pratique professionnelle une responsabilité collective. Mettre en place un leadership infirmier fort pour promouvoir et valoriser l’éventail des rôles infirmiers ainsi que la qualité, la sécurité des soins et les droits des patient-e-s. Ces discussions doivent notamment avoir lieu dans le cadre de comités de soins/comités de pratique professionnelle paritaires où doit siéger la gouvernance des soins infirmiers.
Permettre une prise de position commune des différent-e-s intervenant-e-s en soins infirmiers proposant des alternatives aux modes de gestion et d’organisation des soins limitant le jugement clinique et l’autonomie professionnelle des infirmières.
Innovation et spécialisation infirmières : une voie
pour les soins de l’avenir
Malgré une tendance vers la spécialisation infirmière, la pratique enrichie ou avancée est peu valorisée actuellement. Également, l’approche prise pour le moment semble être des silos de spécialisation. Cela peut ainsi fragmenter les soins, limiter la capacité d’action dans la prise en charge des besoins des patient-e-s et scléroser le cheminement de carrière. Qui plus est, l’approche par spécialisation limite la « force du nombre » de la profession infirmière, complexifie davantage la compréhension du rôle infirmier et peut amener un éloignement de l’approche holistique caractérisant les soins infirmiers.
Une meilleure reconnaissance
Consolider maintenants
Pour une pratique autonome
La FIQ et la FIQP se questionnent donc s’il est nécessaire d’ajouter au champ d’exercices infirmiers des spécialités à celles déjà existantes ou s’il est préférable de reconnaître davantage l’expertise dans des domaines de pratique spécifiques (ex. gérontologie). Pour elles, cette reconnaissance accrue du domaine de pratique sans qu’une spécialisation soit nécessaire viendrait contrer la tendance de certain-e-s gestionnaires qui croient à tort que les infirmières sont interchangeables, et ce, sans respect de leur expérience et de leur expertise. D’ailleurs, la gestion des ressources humaines utilise le déplacement et l’interchangeabilité des infirmières, peu importe le domaine de soins, sans s’assurer de dispenser un programme d’orientation complet, créant ainsi un foisonnement de situations mettant en danger la sécurité du public.
Par ailleurs, il est préférable, de façon pragmatique, de consolider la pratique infirmière et les classes de spécialité infirmière praticienne spécialisée (IPS) et infirmière clinicienne spécialisée (ICS) existantes avant d’ajouter d’autres spécialisations. Notamment, le cheminement de carrière en pratique avancée est peu défini et certains rôles importants enseignés lors de la formation (recherche, enseignement, supervision, advocacy) sont aussi peu valorisés. Et si on ajoute à cela des gestionnaires en soins infirmiers dans certains établissements de santé qui encouragent peu la pratique avancée et ont de la difficulté à s’affirmer lorsque des enjeux se présentent avec le corps médical, cela complique grandement les choses.
Le respect du jugement clinique et la reconnaissance de l’autorité en matière d’évaluation de la condition de santé sont centraux dans l’émergence de tout nouveau modèle de prestation de soins, si l’on veut que celui-ci réponde aux besoins des professionnelles en soins et des patient-e-s. Toutefois, la majorité des infirmières pratique dans un milieu « médicalo-centriste » (CH, GMF), ce qui est un enjeu pour le déploiement de pratiques innovantes. Malgré cela, on remarque peu d’ouverture par les décideurs aux modèles de soins innovants dirigés par les infirmières, ce qui permettrait l’approfondissement d’une pratique autonome. Il importe de développer des modèles de soins plus accessibles à une clientèle variée et visant une personnalisation des soins plus adaptés, notamment auprès des personnes marginalisées ou craignant d’obtenir des soins dans des lieux de dispensation traditionnels.
Pistes d’actions
En cohérence avec l’état de situation dépeint ci-dessus, la majorité des pistes d’action soulevées par la FIQ et la FIQP sont relatives à la spécialisation infirmière.
Inciter les infirmières en soins directs à occuper l’ensemble des lieux d’influence disponibles (professionnels, syndicaux, politiques, organisationnels, etc.) et valoriser leur participation dans les instances décisionnelles..
Déployer pleinement et bonifier le rôle d’ICS en PCI et assurer une prise de responsabilité du leadership clinique et de la gestion en ce sens.
Mener une campagne de vulgarisation et de promotion des rôles infirmiers et de la pratique avancée dans les milieux de soins et auprès du public afin de développer une « image de marque professionnelle » infirmière.
Encourager des IPS à occuper des postes de directions en soins infirmiers (DSI), les infirmières en pratique avancée étant les mieux placées pour intégrer la pratique clinique, la recherche, la supervision, l’advocacy et l’enseignement et pour jouer un rôle d’influence dans des structures décisionnelles.
Déployer des modèles de soins qui valorisent l’éventail des rôles infirmiers (recherche, gestion, advocacy, etc.) et permettent aux infirmières de prendre en charge des patient-e-s sans référence automatique au médecin ou à l’IPS (ex. projet Archimède).
Consolider et développer les rôles infirmiers en général, notamment en première ligne, santé publique/PCI, soins aux personnes âgées, santé mentale, soins palliatifs et de fin de vie.
Intensifier les discussions locales sur le cheminement de carrière et la formation continue de l’ensemble des infirmières en fonction du développement d’une expertise spécifique selon leurs intérêts professionnels.
Informer et former les infirmières sur les développements technologiques et numériques en lien avec les soins et la santé; promouvoir leur participation à ces développements dans l’intérêt de la qualité et de l’humanisation des soins aux patient-e-s. La technologie doit renforcer les soins infirmiers et les rendre visibles et non se substituer à ceux-ci.
Rechercher et développer des compétences infirmières à l’égard des applications et de l’implantation des technologies numériques en santé. Les infirmières devront assumer un rôle de vigie et de partie prenante en tant qu’expertes des soins et des besoins des patient-e-s.